“Je me suis plusieurs fois étonné de quoy nos Roys (peut estre par la considération de l’abondance de la France et de ses propres forces) ont négligé la navigation, ayant de sports et des rivières sur les deux mers et des sujets qui sont portés par leur naturelle inclination, hardiesse et coutume à chercher sous les plus éloignés climats la fortune qu’ils ne trouvent pas en leur pays c’est la navigation qui ont rendus les estats de Hollande si formidables en si peu de temps c’est une chose étonnante que le Portugal, enfermés entre cinq degré de latitude et environ deux de longitude, inférieur en peuple et en richesse de leur terre, ait poussé ses conquêtes et sa témérité jusqu’à l’Orient de Gibraltar au cap de Bonne Espérances et delà jusqu’à la Chine Je ne veux pas parler de la monarchie espagnole qui ne subsiste que par les sommes annuelles qu’elle tire de ses colonies de l’Amérique. Ma pensée seroit donc que sa Majesté (qui est aujourd’hui arbitre de l’Europe, le plus grand et le plus puissant de tous les Roys que la mémoire vénère dans l’écoulement de huit ou neuf siècles que nous comptons depuis l’empire Romain de Charlemagne) entreprit d’un coup de faire prendre pied à ses sujets dans la terre ferme de l’Amérique.”
C’est en ces termes que Barthélémy de Massiac, Sieur de Ste Colombe (1616-1702) introduit en 1664 son “Mémoire touchant l’établissement d’une colonie à Buenos Ayres ou sur la rive opposée du Rio de la Plata” destiné à Colbert ministre de Louis XIV. Ce n’est ni plus ni moins qu’un plan français de conquête de Buenos Aires.
Un récit étonnant et valeureux par le contenu de son témoignage qui décrit précisément les mœurs et coutumes des premiers habitants de Santa Maria de la Trinidad dont le port se nomme Nuestra Señora del Buen Ayre.
Faute de moyens le Sieur de Ste Colombe ne peut rejoindre les troupes de Condé en lutte avec l’Espagne dans les pays flamands. Il se met au service du royaume du Portugal et comme ingénieur militaire il est envoyé à Luanda (Angola) pour y construire des forts.
En fin de mission et tenté par un capitaine hollandais aventurier, il arrive à Buenos Aires en avril 1660 dans le but de vendre quelques esclaves et des marchandises. Le bateau qui l’amène est attaqué en face de Buenos Aires par un corsaire et tout ce petit monde termine sous les verrous dans les prisons du gouverneur espagnole.
Barthélémy de Massiac vivra pendant deux ans (1660-1662) sous résidence surveillée avec interdiction de quitter la ville en se faisant passer pour catalan (la France et le Portugal étaient alliés et ennemis de l’Espagne). Il entre alors en relation avec de notables contrebandiers et discrètement il dessine les plans de la ville.
Renvoyer en Espagne où il sera finalement libéré il rédige alors son Mémoire où il propose ouvertement la conquête du pays, porte d’entrée aux mines de Potosi. Le document porte la signature de son frère Pierre (de plus haut rang, pour faciliter son intromission) et arrive aux mains de Colbert en 1664. Colbert répondra par un questionnaire détaillé sur Buenos Aires, sa géographie, climat, coutumes et richesses auquel le Sieur de Ste Colombe répondra de manière détaillé.
Il apparait que les réponses satisfont et cinq ans plus tard Colbert écrit “J’ai lu au Roy votre relation” (sur la possible conquête de Buenos Aires). Entre temps la France est engagé par de multiples conflits à ses frontières qui repoussera la mise en place du projet alors sérieusement étudié. Pour autant il ne tombera pas dans l’oubli car 24 ans plus tard en 1693 le Ministre Pontchartrain demande à Barthélémy de Massiac ses utiles Mémoires.
Barthélémy de Massiac alors affecté à comme ingénieur du Roy à Brest pour la construction du fort n’a plus en sa possession les cartes et plan demandés. Le Ministre Pontchartrain se tournera alors vers le Maréchal d’Estrée qui en avait une copie. De nouveau les préoccupations devinrent autres et il restera finalement sans suite
Un document historique exceptionnel à la lecture de ces Mémoires. Il décrit par le menu la place de Buenos Ayres et ses alentours et détaille le plan de conquête.
Il est intéressant de noter que contrairement aux espagnols à cette époque, le Sieur de Ste Colombre avait vu l’importance stratégique et commerciale de la ville…
Il nous laisse de précieux documents comme un plan de Buenos Aires de 1669 (fig.1) ainsi qu’une carte topographique de ses environs (fig.2).
Ces mémoires ont été édité en 1933 dans le Journal de la Société des Américanistes (Tome XXV p.222 à 249) avec le questionnaire complet de Colbert auquel le Sieur de Ste Colombe a répondu.
Voir aussi à la même période la Relation de voyage de Buenos Aires à Potosi par le Sieur Accarette du Biscay
Fig.1 Plan de la ville de Buenos Ayres 1669
Fig.2 Plan topographique du Rio de la Plata, d'une partie de ses territoires et des estancias avec la côte opposé et les îles San gabriel