Les historiens qui étudient le tango s’accordent à dire que ce Mi noche triste marque un moment clé et un tournant dans son histoire.
Mi noche triste est en effet le premier tango chanté, interprété par Carlos Gardel, il fera école par la suite puisqu’il servira de modèle tant au niveau de sa composition, des paroles que de son interprétation. Le tango clame un drame intime, des amours perdus, des tromperies, des séparations, des rendez-vous manqués… dont l’interprétation du chanteur est volontairement dramatisé pour lui donner cette tonalité singulière.
Il se termine le temps de la vieille garde, le tango musical interprété par un trio de violon, flûte et guitare laisse la place à la nouvelle garde, le tango-chanson qui garde ces mêmes instruments en lui rajoutant le piano et le bandoneón.
En 1916, Pascal Contursi a mit en parole la mélodie Lita composée l’année précédente par Samuel Castriota en la rebaptisant Mi noche triste. Carlos Gardel l’a inauguré en 1917 au théâtre Maipo (447, rue Esmeralda) et l’a enregistré la même année.
Paroles de Mi noche triste
Percanta que me amuraste en lo mejor de mi vida, dejándome el alma herida y espina en el corazón, sabiendo que te queria, que vos eras mi alegria y mi sueño abrasador, para mi ya no hay consuelo y por eso me encurdelo pa’olvidarme de tu amor. |
Femme qui m’a abandonné au meilleur moment de ma vie laissant l’âme blessée et des épines dans le cœur, sachant que je t’aimais, que tu étais ma joie et mon rêve enflammé, pour moi il n’y a déjà plus de consolation c’est pour ça que je m’enivre pour oublier ton amour. |
Cuando voy a mi cotorro y lo veo desarreglado, todo triste, abandonado, me dan ganas de llorar; me detengo largo rato campaneando tu retrato pa poderme consolar. |
Quand je m’en vais à ma chambre et que je la vois en désordre, toute triste, abandonnée, cela me donne envie de pleurer; je m’arrête de long moments hypnotisé devant ton portrait pour pouvoir me consoler. |
Ya no hay en el bulin aquellos lindos frasquitos arreglados con moñitos todos del mismo color. El espejo está empañado y parece que ha llorado por la ausencia de tu amor. |
Et il n’y a déjà plus dans l’appartement ces jolis flacons rangés comme les petits singes tous de la même couleur. Le miroir est embué comme si il avait pleuré de l’absence de ton amour. |
De noche, cuando me acuesto no puedo cerrar la puerta, porque dejándola abierta me hago ilusión que volvés. Siempre llevo bizcochitos pa tomar con matecitos como si estuvieras vos, y si vieras la catrera cómo se pone cabrera cuando no nos ve a los dos. |
La nuit, quand je me couche je ne peux fermer la porte, parce qu’en la laissant ouverte cela me donne l’illusion que tu reviennes. J’emmène toujours des biscuits pour accompagner le maté comme si toi tu aurais été là , et si tu voyais le lit comment il s’énerve quand il ne nous voit pas tous les deux. |
La guitarra, en el ropero todavia está colgada: nadie en ella canta nada ni hace sus cuerdas vibrar. Y la lámpara del cuarto también tu ausencia ha sentido porque su luz no ha querido mi noche triste alumbrar. |
La guitare, dans le placard est encore suspendue: personne ne chante en elle ni fait vibrer ses cordes. Et la lampe de chevet a aussi senti ton absence parce que sa lumière n’a pas voulu illuminer ma triste nuit. |
Décryptage et explication de Mi noche triste:
Dans ce tango, l’auteur se réfère à la solitude du porteño, alors peuplé de près de 50% d’immigrants de toutes les nationalités, dans une ville où il y avait 25% plus de femmes que d’hommes. Les autorités avaient autorisé l’ouverture de protibulo (bordels) pour mieux gérer (ou exploiter) ce phénomène. La condition des célibataires étant terrible finalement et le tango s’en réfère a ces effets (et non ses causes). Ainsi l’auteur renvoie les porteños à cette image réaliste de leur situation, à leur triste nuit, à leur propre tristesse.
Mi noche triste fait référence à la femme au travers des objets qui lui appartenait (frasquitos, moñitos, espejo et le mate). Ensuite, les différentes strophes parlent d’une certaine joie dans l’évocation de son amour, et passe à la tristesse puis à la désolation. Notamment au travers des mots de lunfardo* utilisés pour décrire et parler de sa chambre qui revêtent différentes connotations (cotorro, en lunfardo il a une connotation de chaleur humaine , de compagnie féminine, puis il se transforme en un simple bulin, une chambre de célibataire, et plus loin en un cuarto sombre et froid, une simple chambre vide.
*Lunfardo: l’argot porteño
Percanta: mujer/femme d’un point de vue amoureux
Amurar: abandonar/abandonner
Encurdelo, de encurdelarse, emborracharse/se saoûler, s’enivrer
Cotorro: cuarto, habitación/chambre de célibataire
Campaneando, de campanear: mirar/regarder
Bulin: cuarto, habitación/chambre
Catrera: cama/lit
Excellent article
http://www.carlosgardel.fr
merci,
ludovic Freppaz
j’adore vraiment !