En Argentine, un jour de grand beau avec un ciel bleu inondé de soleil, certains argentins vous diront que c’est “un dia peronista” (un jour péroniste). Une expression qui résonne encore pour signifier l’époque d’une Argentine bénit par le ciel, promis à un avenir radieux et brillant comme le soleil, et où aucun nuage ne venait entacher son existence.
Cela donne une idée de l’ampleur de l’espoir vécu par une grande partie du peuple argentin sous la(les) gouvernance(s) de Juan Domingo Perón.
Le Péronisme (Peronismo), c’est un mouvement politique de grande ampleur et spécifiquement argentin qui apparait dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Son fondateur et son chef politique est Juan Domingo Perón. Cet homme va marquer presque trois décennies de la vie politique et économique de l’Argentine. Aujourd’hui encore, 30 ans après sa mort, il demeure la force politique majoritaire en Argentine (Parti péroniste). Son empreinte est encore présente dans les discours politiques d’aujourd’hui, d’aucun se réclamant son héritier spirituel.
Dans un pays où le culte de la personnalité est fulgurant, dans une société matriarcale où la représentation paternaliste devient un argument politique, l’Argentine va vivre l’expérience d’un mouvement de masse majeur dans l’histoire politique.
L’Argentine vit une situation politique et économique délicate. Elle vient de vivre la ‘décennie infâme‘ avec une série de renversements politiques dans les années 30, accompagné de difficultés économiques liées à la crise de 1929. Cette situation met en évidence sa trop haute dépendance à l’Europe (on parle de l’Argentine comme le sixième dominion de l’Angleterre) et des États-Unis. Elle a perdu beaucoup de sa splendeur d’avant la première guerre mondiale et ses espoirs de faire partie des grandes nations s’évanouissent.
Juan Domingo Perón veut ranimer la flamme. Il inscrira son combat au préambule de la nouvelle constitution de 1949: une Argentine socialement juste, économiquement libre et politiquement souveraine. Cette trilogie résume la doctrine péroniste, appelé le “justicialisme”.
Elle s’articule autour du respect de la personne humaine, de la ‘dignification’ du travail et de ‘l’humanisation’ du capital.
Son but est de rendre la souveraineté et l’indépendance à son pays et aux argentins leur donner une signification à leur identité et renforcer leur argentinité.
Juan Domingo Perón est un homme audacieux et susceptible, dérangeant et massif. Tribun de grande classe, il est un intuitif et un séducteur, il sait conquérir les foules. Il est aussi à l’aise dans un meeting ouvrier que devant un auditoire de philosophes réunis en congrès. Il est adulé par les masses populaires les “descamisados” (ceux qui travaillent la chemise ouverte et les manches retroussées par opposition aux cols blancs et aux emplois ‘habillés’) et respecté par ses adversaires.
La vie politique de Juan Domingo Perón est unique en Amérique du Sud. Il a atteint par trois fois la plus haute fonction de l’État, élu président de la République Argentine en 1946, 1951 et 1973.
Enfance et jeunesse
Perón est né à Lobos (province de Buenos Aires) le 8 Octobre 1895. Il est le fils de Mario Tomás Perón, petit producteur agricole et éleveur, et de Juana Salvadora Sosa, et petit-fils de l’un des médecins les plus célèbres de son temps, le professeur Tomas Liberato Perón. Sa famille est d’origine sarde du côté de son père et castillane du côté maternel. Il vit son enfance dans les pampas de Buenos Aires et sa jeunesse dans les plaines de Patagonie du sud de l’Argentine où ses parents ont déménagé en 1899 pour trouver du travail.
Ces grands espaces ouverts et la vie rurale ont influé sur la formation culturelle que certains biographes ont appelé ‘criollismo’.
Perón voulait être médecin comme son grand-père mais finalement, il entre au collège militaire en 1911 et en sort en 1913 avec le grade de sous-lieutenant d’infanterie .
La vie militaire
En tant que jeune officier de l’armée, il occupe diverses affectations dans le pays alors qu’il monte en grade. En tant que capitaine, il écrit sur le moral militaire, l’hygiène militaire, les campagnes de l’Alto-Peru, le front de l’Est de la première guerre mondiale. Des études stratégiques qui ont été adoptés comme manuels dans les écoles de l’armée.
En 1929, il épouse Aurelia Tizon dans l’église militaire de Notre-Dame de Luján, mais sa femme décède en septembre 1938.
En 1930, il est professeur d’histoire militaire à l’école de guerre. Il continue à publier des textes militaire et aussi une étude sur la langue des Indiens Araucans, originaire de la région de Patagonie, intitulé Toponimia Patagónica de Etimología Araucana (1935).
En 1936, avec le grade de major de l’armée, il est nommé attaché militaire à l’ambassade d’Argentine au Chili. Cette année-là, il obtient le grade de lieutenant-colonel.
En 1937, il publie La Idea Estratégica y la Idea Operativa de San Martín en la Campaña de los Andes.
En 1939, il rejoint la mission d’étude à l’étranger que l’armée argentine envoie en Europe et qui réside en Italie. Il se spécialise dans infanterie de montagne (alpinisme et ski). Il revient au début de 1940, après une tournée en Espagne, en Allemagne, en Hongrie, en France, en Yougoslavie et en Albanie. Il est affecté au Centre de Formation de montagne de Mendoza en 1941 et atteint le grade de colonel.
A partir de 1943 sa vie militaire commence à converger vers la politique, qui l’absorbera entièrement jusqu’à sa mort.
Vie politique
Participant
Le 4 Juin 1943, Perón participe à la révolution militaire et met fin à un processus de fraude et de corruption politique qui avait commencé avec le coup d’état militaire de 1930 et qui avait chassé du pouvoir le président Hipólito Yrigoyen appartenant à l’Union Civique Radicale (UCR).
Perón a le grade de colonel et appartient à un groupe d’officiers organisé en une sorte de loge appelée GOU (Groupe d’Officier Unis) qui soutenait des thèses nationalistes et la sauvegarde d’une certaine éthique.
Pendant le gouvernement militaire, Perón occupe des emplois mineurs. En octobre 1943, il demande à s’occuper de la Direction nationale du travail, une organisation modeste dédié aux questions du travail et des syndicats. Le jeune colonel établit alors un contact étroit avec la classe ouvrière argentine, en s’occupant de leurs problèmes et en apportant des réponses à leurs besoins. Il transforme ce modeste organisme en véritable ministère du Travail et des Affaires sociales, il élargit ses pouvoirs et assume son nouveau titre le 10 décembre 1943.
Depuis sa fonction, il incite les travailleurs à s’organiser en syndicats, il transmet une revendication de la propriété et de la division nationale du travail et de promeut une législation de protection sur la base des principes de justice sociale, à partir, entre autres sources, des encycliques papales.
Au début de 1944, il rencontre Maria Eva Duarte qui va devenir sa femme et dont l’histoire a immortalisé le nom de Evita.
Acteur
Pour ses résultats au ministère du travail, la popularité de Perón commence à croître dans la classe ouvrière, ce qui éveille les soupçons de la plupart des commandants de l’armée qui ont une conception conservatrice et élitiste de la société Argentine.
A tel point que le 10 octobre 1945, en tant que vice-président et ministre de la guerre le colonel Perón est contraint de démissionner de toutes ses fonctions et placé en détention à l’île Martin Garcia (situé sur le Rio de la Plata en face de Buenos Aires).
Plébicite
Lorsque la nouvelle de l’arrestation de Perón est connue des travailleurs, une grève générale spontanée se déclare dans tout le pays. Une foule immense marche sur le palais du gouvernement de Buenos Aires de la Plaza de Mayo et réclame son retour et sa liberté.
Cela se passe 17 octobre 1945. La pression populaire est telle que Perón est libéré et appelé en urgence par les militaires et les gouvernants eux-mêmes pour se montrer à la foule, leur parler et les calmer.
Il annonce l’entrée au gouvernement de ses partisans et sa candidature aux prochaines élections de février 46. Ce jour reste inscrit dans toutes les mémoires et se commémore comme “el dia de la lealtad” (le jour de la loyauté). Perón demande alors sa retraite de l’armée et se lance dans la campagne présidentielle. Il est alors âgé de 50 ans.
Ce même mois d’octobre il épouse Eva Perón.
1e élection
Le gouvernement militaire affaibli par les événements, convoque des élections présidentielles pour le 24 février 1946.
Perón, avec seulement quatre mois de temps, présente une liste commune avec Perón-Quijano et organise les bases politiques pour réunir des travailleurs, le secteur privé, des progressistes et des déçus de l’Union Civique Radicale, du Parti conservateur et du Parti socialiste. Son adversaire était un front politique appelée “Union démocratique”, réunissant les secteurs les plus conservateurs de la société en partenariat avec la gauche internationaliste comme le Parti communiste, et ouvertement soutenu par l’ambassadeur des États-Unis, M.Spruille Braden.
La bataille électorale se résumait au slogan “Braden ou Perón“.
Perón remporte les élections avec 52% des voix et assume la présidence de la Nation le 4 juin 1946. Déjà dans le gouvernement, il fonde le mouvement péroniste. Commence alors l’expérience politique de l’Argentine selon son idée de la gestion de la nation et ses réponses aux préoccupations sociales.
En 1949, la Constitution est réformée par l’élection de nouveaux constituants. Les droits sociaux sont incorporés aux textes juridiques, ainsi que le vote des femmes qui avait été approuvé en 1947 grâce à la campagne d’Eva.
2e élection
En 1951, le duo Perón-Quijano est réélu pour une nouvelle période de six ans avec 62 % des voix.
Disparition d’Evita
En 1952, Eva Perón “Evita”, rongée par le cancer, décède. Cela créé un grand vide affectif autour de Perón. Rien ne sera plus comme avant.
En 1953, Perón développe sa réflexion sur la politique étrangère basée sur les concepts de «continentalisme» et d’«universalisme » avec une projection sur le XXIe siècle.
Il prend les premières décisions concrètes visant à renforcer l’intégration latino-américaine et propose au Chili et au Brésil de jeter les bases d’une union régionale appelée ABC en définissant des objectifs commun. Ce projet est l’antécédent du courant Mercosur installé 30 ans plus tard.
Destitution et exil
Le 16 septembre 1955, le gouvernement constitutionnel de Perón est renversé par un coup d’état militaire soutenu par les secteurs les plus conservateurs de la société. Il s’en suit une longue période de proscription politique du mouvement péroniste, la poursuite de ses membres et/ou leurs exécutions, l’emprisonnement et l’exil. Perón s’exile. Cette période sanglante va durer 18 ans, au cours de laquelle l’armée reprend peu à peu le contrôle politique du pays.
Perón s’exile dans divers pays hispano-américains, il y rencontre une jeune Argentine, María Estela Martínez, “Isabel”, qui va devenir sa troisième épouse.
A partir de 1960, il s’exile en Europe et vit à Madrid jusqu’à ce qu’il puisse retourner en Argentine le 17 novembre 1972 et définitivement à partir du 20 juin 1973.
3e élection et fin
Le gouvernement militaire dirigé par le général Lanusse convoque des élections présidentielles pour le 11 mars 1973, mais interdit Perón de se présenter. Le mouvement péroniste remporte les élections avec 49,59% des voix dans une formule désigné par Perón, le duo Cámpora-Solano Lima.
Une fois en fonction, le président Campora démissionne et a appelle à de nouvelles élections présidentielles sans proscriptions pour le 23 septembre 1973.
Le Mouvement justicialiste Perón-Perón (Juan Domingo Perón et son épouse Isabel Martínez de Perón) remporte la victoire avec plus de 60% des voix .
Perón a 78 ans et il est alors malade. Il meurt le 1er juillet 1974 dans l’exercice de la Présidence de la Nation.
Le péronisme sans Perón et sans Evita avait perdu de son sens et périclite, la suite est connue avec l’accélération du chaos et le coup d’État militaire de 1976. Une page de l’histoire de l’Argentine se ferme définitivement.
L’expérience Péroniste possède encore aujourd’hui ses aficionados et ses détracteurs.
D’aucuns reconnaissent que sa première présidence avait du sens et les deux suivantes n’étaient devenus qu’une pâle figure du péronisme.
Pour une grande part de la population, il a représenté un souffle nouveau et beaucoup d’espoir avec l’émergence d’une véritable ‘clase media’. Un souffle incarné spécialement dans Eva Perón. Sans Eva, Juan Perón n’avait plus le même écho.
Ses contradicteurs, les anti-péroniste viscéraux restent les mêmes de l’Argentine “traditionnelle” aux révolutionnaires trotskystes, des propriétaires terriens spoliés à la bourgeoisie commerciale.
Perón a laissé de multiples écrits (La Comunidad Organizada, Conducción Política y Modelo Argentino para un Proyecto Nacional, la communauté organisée, la politique conduite et de l’Argentine Modèle pour un projet national, entre autres ) où il exprime sa philosophie et sa doctrine politique.
Son message, sa doctrine, ses slogans sont encore aujourd’hui grands inspirateurs des schémas politiques actuels (indépendance et souveraineté de l’Argentine). Grosso modo, tous les partis politiques se réclament du péronisme. Et à l’intérieur de ce grand champs se trouvent les conservateurs et les progressistes, chacun se disputant l’interprétation péroniste authentique de la gouvernance du pays.
Perón et le Péronisme est encore bien présent dans le débat politique et provoque toujours autant de débat passionnés, que ce soit autour de l’asado dominical ou du haut des tribunes de campagnes électorales.
Source biographique: Instituto Nacional Juan Domingo Perón www.jdperon.gov.ar
Biographie en français parue en 2014: Juan Perón, de Jean-Claude Rolinat, collection Qui suis-je? Éditions Pardès, 126 pages, 12 Euros