Hippolyte Mordeille fait partie de ces personnages qui s’illustrèrent au début du XIXe siècle d’un côté et de l’autre des rives du Rio de la Plata entre Buenos Aires et Montevideo. Voulant établir des places de commerce, les anglais n’hésitèrent pas à envoyer des contingents armés pour ouvrir la voie aux commerçants. Ces combats seront le signe annonciateur des grands bouleversements de la région qui s’achemina vers sa séparation de la tutelle espagnole (mai 1810) et l’indépendance de l’Argentine (9 juillet 1816) et les longs conflits fratricides qui s’ensuivirent.
Parmi ces personnages historiques nous avons déjà abordés à plusieurs reprises les épopées de Jacques de Liniers et du corsaire Hippolyte Bouchard.
François Hippolyte Mordeille (François-de-Paule Hippolyte Mordeille) est né à Bormes-les-Mimosas le 6 mai 1758. Il est le fils de Salvadore Mordeille et de Marie Lucie Couvert .
Il est devenu marin très jeune. En 1789, il est capitaine de l’Amis et en 1790 capitaine d’un navire immatriculé à Marseille.
Mordeille Corsaire à Marseille (1792-1804)
En 1792, il lance avec son propre bateau des opérations de course le long des côtes de l’Espagne, avec le Sans-Culottes puis avec le Révolution (1794) et le Concurrent (1795). Dans une expédition avec le Citoyen, six semaines après être parti de sa base de Marseille, il est attaqué par une frégate espagnole de 42 canons qui s’était approché sans déclencher l’alarme des français qui n’étaient pas au courant des hostilités qui avaient commencé entre les deux pays. Le Citoyen avait seulement 20 pièces de 8 et Mordeille doit se résigner à se rendre. Il est fait prisonnier et détenu dans la citadelle d’Alicante. Il réussit à s’échapper avec une poignée d’hommes et capturer une goélette de commerce pour rejoindre Toulon. Au cours de l’abordage il perd sa main gauche, cela lui vaudra le surnom de Main Courte.
Mordeille était très populaire à Marseille. Bloqué par les anglais, il a été l’un des rares à réussir à leur échapper et revenir avec ses prises. Surnommé à cette époque “le Jean Bart des corsaires”, un auteur relate:
L’Empereur le décora, il était noir comme un Éthiopien, petit et fragile, à l’abordage il prenait la taille et la force des héros. Il est le premier à tirer au pistolet et à frapper avec la hache. Il se lançait sur l’ennemi depuis sa chaloupe avec l’agilité d’un oiseau.
Il a finalement été capturé par les anglais, et détenu pendant une longue période à Portsmouth. Après avoir été libéré, il reprit les opérations de course dans la mer des Caraïbes et sur la côte d’Afrique de l’Ouest. Pendant cette période, il a fait plusieurs voyages sur le Río de la Plata sous pavillon hollandais, génois et français.
En avril 1799, il commande la Républicaine et en mai, avec le corsaire Le Mars il participe à la capture des navires américains Mary Ann de 182 tonneaux, de l’Ardent de 236 tonneaux, et le brick Robertson . En 1802 il commande la Légère, les registres indiquent son arrivée à l’île Maurice le 22 Septembre de cette année.
Mordeille, Corsaire sur le Rio de la Plata (1804-1806)
Le 2 Janvier 1804, aux commandes du hollandais Hoop et après la capture de la frégate britannique HMS Neptune il arrive au port de Montevideo pour vendre ses prises. Mais le commandant de la station navale de Montevideo ne le lui permet pas et l’oblige à s’en aller pour éviter un conflit avec la Grande-Bretagne
Le 19 novembre, il revient à Montevideo avec le brick anglais Diana et une goélette, il voulait les vendre en les faisant passer pour français. Mais découvrant la supercherie, Mordeille et son associé le capitaine Beaulieu sont condamnés à 25 jours d’emprisonnement et la confiscation de leurs marchandises.
Le 24 mai 1805, Montevideo par l’intermédiaire d’Antonio Massini a délivré le premier acte de corsaire de cette ville en donnant ce titre à Carlos Camusso comme armateur et Mordeille en tant que capitaine. Il reçoit à cet effet la frégate San Fernando, que Mordeille rebaptise le Dromadaire (ex-Nuestra Señora de la Concepción, ex-Reine Louise). Après un partenariat avec Stanislas Courrande, il lance une nouvelle campagne en juin de l’année 1805.
Sa campagne sur la côte africaine a été l’une des plus réussies. Le 15 août, après deux heures de combat il capture la frégate de 400 tonneaux Nelly, de Liverpool, et ordonne à son second Jean-Baptiste Azopardo, de la ramener à Montevideo.
Dans la matinée du 21 août il capture l’Elizabeth, semblable à la précédente et en donne la charge à François Fournier avant de s’emparer des navires Sara, Hind et Two Sisters qu’il fait ramener par Michel Sassy.
Outre Azopardo et Fournier, qui ont joué par la suite un rôle important dans la marine des Provinces-Unies du Río de la Plata après l’émancipation de mai 1810, Paul Zufriátegui a participé à cette campagne sous le commandement de Mordeille. De même que Jean-Baptiste Fantin, adjoint de Liniers, avait servi sous ses ordres.
Mordeille pendant les invasions anglaises (1806-1807)
Au moment des invasions britanniques, Mordeille est au commande du Dromadaire et rejoint une flottille de 22 navires qui passe de Montevideo à Colonia del Sacramento. Puis de là, jusqu’à Las Conchas sur la côte de Buenos Aires en transportant l’armée de la reconquête sous le commandement de Jacques de Liniers. Mordeille, avec son équipage français, obtient un rôle décisif dans la reconquête de Buenos Aires le 14 août.
Après le débarquement, Mordeille rejoint la force avec ses officiers Jean-Baptiste Raymond et Ange Hubac et ses corsaires, 73 hommes au total.
Mordeille, avec Juan Martin Pueyrredón, doit participer à une réunion avec le commerçant anglo-américain William Pio White, principal collaborateur des anglais. La réunion visait à parvenir à un accord pour mettre fin à la confrontation. Elle doit avoir lieu dans le couvent des Catalinas sur les rues Viamonte et San Martín. La réponse de Liniers est accompagné d’une note de Mordeille qui dit: “Mr. Mordeille vous fait dire qu’il est et sera toujours votre ami”. La réunion n’a finalement pas lieu en raison de l’attaque surprise des Miñones (Catalans), et White ne pouvait arriver au lieu de la réunion.
Dans les combats, Mordeille et ses corsaires “los corsarios franceses” ont toujours été à l’avant-garde, “l’âme de toutes les attaques” selon l’historien Laurio Destefani. Dans la confusion de l’assaut final contre les forces britanniques, Mordeille ramassa l’épée de William Carr Beresford qui venait d’être jetée par un officier anglais pour calmer la foule et la lui remis pour ne pas porter atteinte à son honneur.
De retour à Montevideo, Mordeille est chargé de commander 300 hommes qu’il appelle Régiment de Hussard pour affronter les anglais qui avaient débarqué le 16 janvier 1807.
Le 3 février, les envahisseurs ouvrent une brèche dans les murs de la ville. Dans les combats qui ont suivi contre le 38e régiment, les troupes de Mordeille sont de nouveau à l’avant-garde. C’est dans cette action face aux troupes d’Auchmuty qu’Hippolyte Mordeille tombe mortellement blessé tout comme son adversaire direct Spencer Thomas Vassal (commandant le 38e Rgt d’Infanterie). Son navire sera ensuite capturé par les anglais.
- Jacques de Liniers a relaté l’héroïsme de Mordeille dans sa lettre à Napoléon qui raconte la Reconquête et la Défense de Buenos Aires en 1807.
- L’artiste Charles Fouqueray (1872-1956) représente Mordeille dans sa peinture de 1909 intitulée «La Reconquista de Buenos Aires”. Il apparaît à l’extrême gauche avec la tête bandée.
- Une rue porte son nom à Montevideo.
El Manco Mordeille
Hipólito Mordeille, tu nombre arranco
del silencio que toda gloria arrumba.
Dejo un lirio a la vera de tu tumba,
heroico gladiador, egregio manco.
Antonio Caponnetto – “Poemas de la Reconquista” 2006
La France Maritime, Vol.2 – Amédée Gréhan -1837
Corsarios Argentinos – Miguel Angel de Marco – éditions Planeta – 2001
Una gesta heroica: Las Invasiones Inglesas y la defensa del Plata -Juan Carlos Luzuriaga – Torre del Vigía éditions, Montevideo – 2004.
Histoire des corsaires – Jean Merrien – Ancre de Marine éditions – 2003
site: www.corsariosdelplata.com.ar
Bonjour,
Très intéressant article. Je tiens à vous signaler que, comme beaucoup de corsaires de cette époque, Mordeille était aussi un capitaine négrier. Le navire “l’Amis” que vous citez est en fait le négrier “Les Deux-Amis”, de Marseille. Lors de la paix d’Amiens, qui succéda à une décennie de conflit maritime, il embarqua à Marseille sur la “Légère” pour l’Isle de France, puis la côte orientale de l’Afrique (Ibo près de Mozambique) où il chargea une cargaison de captifs. Il débarqua ces captifs à Montevideo dans le courant de l’année 1803. Le reprise de la guerre avec l’Angleterre l’a empêché de rentrer à Marseille avec la cargaison de retour, qui consistait toujours en “cuirs en poils”.
En 1816, dans les souvenirs qu’il publia de son infortune d’exilé, J.-B. Lefranc décrivit de manière cinglante le capitaine Mordeille qu’il rentra sur la côte orientale de l’Afrique et refusa de le prendre à son bord :
« Il n’avait qu’un bras, et il n’avait sans doute jamais eu de coeur. Il était Marseillais ; mais il avait la dureté d’un Provençal, sans en avoir la franchise. »
Bien cordialement
Bonjour, merci pour votre contribution. J’ai pu retrouver le livre dont vous parlez à cette adresse:
https://books.google.fr/books?id=J01SAAAAcAAJ&lpg=PA133&ots=laFo4O8Bry&dq=J.-B.%20Lefranc%20exil%C3%A9&hl=es&pg=PA133#v=onepage&q=J.-B.%20Lefranc%20exil%C3%A9&f=false
“Les infortunes de plusieurs victimes de la tyrannie de Napoléon Buonaparte”
Ecrit par Jean Baptiste André Lefranc paru en 1816
On comprend dès lors beaucoup mieux son invective sur Mordeille du fait des circonstances de la rencontre.
Saludos cordiales
Article passionnant. Je me permets juste de corriger une petite erreur: Vassal n’était à ma connaissance pas le second de Mordeille à Montevideo, mais commandait le 38e régiment britannique. Il fut mortellement blessé lors de l’assaut du 3 février 1807. Rapatrié en Angleterre, l’officier fut inhumé dans une église de Bristol où l’on peut encore voir sa tombe.
Vous avez en fait raison et pour éviter toute équivoque à l’avenir nous avons reformulé cette phrase. Merci de votre intérêt et de votre collaboration.