A voir les œuvres de Helmut Ditsch, un argentin résident en Irlande, nous sommes dans un premier temps impressionnés: grandeur, réalisme, incomparable, sans limites… C’est l’homme tout entier qui affronte la nature en l’intériorisant pour mieux la sublimer et la “faire parler”.
Son terrain de prédilection: la Patagonie, la cordillère des Andes, ses montagnes, ses déserts et ses glaciers qu’il ne connait pas seulement selon son œil d’artiste mais aussi pour l’avoir expérimenté au cours d’expéditions en haute montagne: le sommet de l’Aconcagua, les hielos continentales…
Après cinq siècles de réalisme chaque fois plus intense et raffiné – depuis la Renaissance en passant par la peinture à l’air libre des impressionnistes jusqu’au photo-réalisme des années 60 – l’illusion que procure les œuvres de Helmut Ditsch semblent nous voler nos sens…
En 2012 Helmut Ditsch a exposé “El triunfo de la pintura” (le “triomphe de la peinture” à l’Espace Contemporain des Arts de Mendoza qui a connu un grand succès). “El triunfo de la pintura” est sans aucun doute le triomphe de la beauté.
Ce peintre possède une technique impeccable et revendique ses tableaux comme autant d’hymne à la joie, la vie, la création. Sa représentation de la Nature entre déserts, glaciers, montagnes et mers sont imparables.
Helmut Ditsch a des convictions que l’on peut ou ne pas partager avec lui, mais sa peinture parle d’elle-même et souvent pour lui.
Le peintre argentin le plus côté et en même temps totalement exclu du circuit commercial de l’art se livre au cours d’une entrevue sans concessions et sans langue de bois.
J: Quand et comment avez-vous décidé de devenir un peintre réaliste?
Helmut Ditsch: Il y a eut bien des rencontres ponctuelles avec la nature et ces moments ont agit comme autant de déclencheurs. enfin, je suppose car en commençant à peindre à l’âge de 6 ans, je doute que je pensais en faire une profession. Je me souviens des paysages traversés quand on voyageait et je ressentais le besoin de faire partie de ce phénomène que j’observais. C’est la peinture qui m’a aidé.
J.: “El triunfo de la pintura”, me rappelle le “Triomphe de Venus”, de François Boucher (1740) Votre oeuvre, quelle relation entretient-elle avec le triomphe de la Beauté?
H.D.: Ce triomphe contient diverse facettes. C’est un triomphe sur la soumission dogmatique de l’art conceptuel dont j’ai souffert dans ma chair en Europe, où l’on m’a exclu des cercles académiques. L’intolérance crée par le nihilisme de masse qui nie l’esthétique mais qui a oublié d’en proposer une nouvelle. De fait, l’esthétique ce n’est pas quelque chose d’inventé par l’artiste, c’est une loi naturelle, qui maintient en équilibre et donne de la puissance à l’évolution.
C’est le triomphe de 20 ans de lutte face à cette situation. On peut dire que la peinture triomphe et ressurgit dans les années 2000. Je l’avais devancé et c’est la raison pour laquelle le choc a été inévitable. Selon les conceptuels, j’étais anachronique avec mes propositions.
J.: Vous pensez qu’il y a un retour au réalisme? Peut-on parler d’une renaissance de la peinture?
H.D.: Je suis là où j’en suis donc oui, il y a une renaissance de la peinture
J.: Vous croyez que votre œuvre participe d’une certaine manière à ce que le public se retrouve avec la peinture?
H.D.: J’ai toujours développé un langage populaire avec ma peinture. Le public a toujours été présent avec mon œuvre. Je n’ai pas besoin d’intermédiaires, ni de traducteurs, je dialogue directement avec mon public. C’est ça le problème des circuits de l’art et sa soumission dogmatique qui exclue le public. Il a une posture idéologique excluant et c’est ce qui le gêne, que ma peinture ait une valeur universelle. La mienne est populaire, il comprend ma peinture et lui transmet des émotions. Cette arme que je possède ils ne peuvent la contrôler.
J.: Nous y sommes, qu’est-ce que l’Art pour vous?
H. D.: Pour moi l’Art c’est la voix d’un peuple dans sa majeure expression et ce doit être une poésie supérieure de valeur universelle, sinon c’est un phénomène auquel il fait donner un autre nom mais pas “Art”. L’Art a une exigence celui d’être un phénomène qui surpasse.
J.: Quelle est la place de la Beauté dans votre œuvre?
H.D.: C’est simplement une loi intrinsèque à l’évolution de la nature. C’est l’harmonie, l’équilibre des formes entre autres… ce n’est pas l’artiste qui l’invente, les choses fonctionnent ainsi.
La vie s’est développé selon un ordre et l’être humain a la capacité de construire et de détruire. La peinture possède cette relation et est soumise à cet ordre. en étant plus efficace elle en est plus belle. La beauté est un conducteur. L’art à la différence du dessin se distingue par sa poésie. Le dessin peut être efficace mais il peut ne pas émouvoir. L’art exige le développement de cette poésie.
Il n’a pas besoin d’un contenant artificiel pour apparaitre, que ce soit des relais et une présence dans un musée, dans la presse, des bonnes critiques. Si le contenu n’a pas de poésie cela ne fonctionne pas.
J.: Alors quel est le lieu de la beauté et de la poésie dans l’art contemporain?
H.D.: Il faut à nouveau le revendiquer parce que tout cela a été entendu comme un gros mot pendant des décennies. Il y a en fait une grande lutte idéologique entre un monde qui a crée une bulle puissante et dominatrice. Tout l’argent qui est destiné à la création artistique dans la plupart des pays occidentaux a été accaparé par ses groupes puissant qui laissent dehors le public. Dans leur manifestation, ils expriment parfaitement le fait que le peuple n’a aucun pouvoir sur l’art. Les experts autoproclamés jugent et cooptent les artistes de leur choix et évacuent le reste. Les critiques d’art – des artistes frustrés ou sans talents – plutôt que d’être constructifs et productifs, a choisit de faire et défaire selon son propre intérêt.
J.: Vous êtes à l’heure actuelle l’artiste argentin le mieux côté, considérez-vous que le succès a une relation avec la côte d’un artiste? vous vous considérez un artiste à succès?
H.D.: Le contact avec les gens est mon succès, mais par la valeur nominale d’un œuvre. L’œuvre a une valeur particulière: celui du dialogue. Mon succès est là, ce n’est pas artificiel, parce que ce n’est pas un petit groupe d’influence qui commercialise mes œuvres. Elles ont une valeur idéale.
J.: Comment s’est construit la valeur de vos œuvres?
H.D.: Le besoin de l’artiste qui produit se rencontre avec le collectionneur qui le cherche. J’ai un groupe de fanas de mon œuvre qui ont cru en moi et qui ont grandit avec moi. Quand je suis resté en dehors du système je n’ai pas eu d’autres choix que de revenir à l’endroit d’où je suis parti: sur les places. Ce que j’ai fait au début sur la place Roca de Villa Ballester dans la province de Buenos Aires, je l’ai fait ensuite à Vienne. Mais il y a aussi eut des gens de ma génération qui m’ont aidé en m’achetant des tableaux, des petites sommes qui m’ont aidé à me maintenir.
On avait 25 ans, chacun a fait son chemin, et à 35 ans les choses avaient changé. Il s’était formé un groupe de militants de ce type d’art si nécessaire et qu’il ne serait pas facile d’expliquer car il génère beaucoup de passions.
La relation du collectionneur avec mon œuvre, mon histoire, est passionnelle. J’ai donc construit peu à peu des groupes de mécènes, comme cela se faisait pendant la Renaissance. Des mécènes bien réels, qui savent que l’argent qu’ils investissent, ils l’investissent dans l’artiste.
J.: La nature occupe toute votre œuvre et l’humain est totalement absent…
H.D.: Je ne peins pas la figure humaine pour que tu puisses toi-même y rentrer. L’être humain est en train d’entrer. Si je peignais une figure humaine dans le lieu, l’espace serait déjà occupé par quelqu’un.
J.: Pourquoi peindre sur un format de tableaux si grand?
On ne connait pas d’œuvres au format que je choisis pour les miennes faites par un seul artiste.
Les écoles de Rubens, pour donner un exemple, s’étaient crées avec une vitesse de production exigée par la maison royale et ses artistes devaient travailler vite. C’étaient impossible de peindre des grands tableaux et c’est pour cela qu’ils ont formé des groupes de travail. Mais si on regarde de plus près ces œuvres, on s’aperçoit qu’elles n’ont pas autant d’intensité et d’énergie que les toiles du maître.
Le défit que je me suis lancé est de réaliser des tableaux avec autant d’intensité mais sur un grand format. Multipliant ainsi le phénomène et ses effets.
J.: La critique vous catalogue souvent comme un peintre du “réalisme post-médiatique”. Qu’est-ce que cela veut dire?
H.D.: En réalité cela a été écrit par un critique d’art qui ne savait pas quoi dire. Ils veulent toujours être “politiquement correct” – corrects surtout avec les artistes qu’ils promeuvent – et il ne savait pas mettre un nom sur ce que je faisais. Ils n’osent pas dire qu’il s’agit du triomphe de la peinture sur l’art conceptuel – qui serait l’art médiatisé. Mais bon, ce n’est pas une définition qui a beaucoup d’importance pour l’histoire, cela va se définir et se cristalliser avec le temps.
Ce critique d’art aurait du me demander à moi en réalité, comment je définis ma peinture. C’est du réalisme, du réalisme conceptuel.
Ce n’est pas non plus de l’hyperréalisme, qui est seulement une technique et non pas un mouvement artistique, parce qu’ils n’ont pas peint la lumière – petit détail d’importance. La forme seule n’est pas suffisante. La lumière est en relation avec la poésie et avec le magie suggestive de la plastique.
Le grand défit pour ceux qui vont faire du réalisme est qu’ils doivent étudier tout ce qui s’est fait depuis 2000 ans, ou plus. Cela comprend toute une étude évolutive, rien ne se répète. Ce type de peinture n’existait pas auparavant.
J.: Qu’est-ce que vous conseilleriez aux jeunes gens qui veulent étudier la peinture?
H.D.: Avant tout qu’ils le fassent pour une raison de félicité. C’est plus important danser et chanter même si on le fait mal, que de s’interdire de le faire. Faisons de grandes écoles où l’on peut tous peindre ou danser et de là apparaitront les “Messi” et les “Helmut Ditsch”. Je suis apparu dans un spectre absolument pas artistique, personne dans ma famille ne peint ou ne peignait auparavant, aucun artiste. J’avais seulement besoin d’être, cela à voir avec la volonté et en prenant conscience de mon talent. J’ai assumé cette responsabilité et relevé le défi. Mais il faut aussi se risquer à rester en dehors du cercle, sans avoir peur que personne ne te reconnaisse. Je me suis senti totalement rejeté par le système et il y eut confrontation, mais il ne faut pas perdre son temps à combattre.
Ne perdez pas de temps à faire la queue devant les galeries d’art qui ne vous prendrons jamais. Parce que le système est en fait un entonnoir, si à la dixième fois ils ne te prennent pas, ne perds pas plus de temps, ce n’est pas l’endroit qu’il te faut. Vas sur la place où à n’importe quel autre endroit. La reconnaissance de son talent il ne faut pas le forcer. Le secret est de focaliser son énergie sur ce que l’on sait faire de mieux. Quand tu tombes raide mort avec la dernière goutte d’énergie qu’il te reste, miraculeusement l’énergie revient. C’est donner et recevoir.
J.: L’inspiration existe, mais elle doit te trouver au travail…
H.D.: Comme disait Picasso, exactement, c’est cela.
J.: Merci Helmut
H.D.: Muchas gracias.
Par Camila “China” Chiang, traduit par nos soins.
Plus d’infos:
Le site d’Helmut Ditsch : www.helmut-ditsch.com