Les Français d’Argentine

En dehors de l’apport culturel notable, de nombreux français sont venus en Argentine. Beaucoup sont repartis, certains étaient tout simplement de passage. L’Argentine n’a jamais laissé indifférent ces voyageurs, résidents temporaires ou permanents. Ils furent paysans, laboureurs, éleveurs, ingénieurs, photographes, architectes, peintres ou écrivains, militaires ou marins, Basques, Béarnais, Aveyronnais ou encore Savoyards et pieds-noirs…
Ils ont contribué à la construction de l’Argentine, à leur profit ou à leur perte, sont devenus célèbres, connus ou sont restés anonymes.

La France et les Amériques

Proportionnellement, l’immigration française a été moins importante en comparaison à l’espagnole, italienne et même allemande ou britannique.
Des européens candidats à l’émigration, la France est un faible pourvoyeur. Alberto Sarramone l’explique par le fait que la France connait un déficit de population du aux guerres révolutionnaires. Pays le plus peuplé sous le règne de Louis XIV au début du XVIIIe, elle a perdu environ 13 millions de ces fils dans les turbulences de l’après 1789.
Géographiquement, les migrants appartiennent en majorité aux hautes et basses Pyrénées, à la Savoie et à l’Aveyron.
Sur la période 1810-1910, le chiffre de 220000 migrants français vers l’Argentine est généralement convenu, dont 120 000 sont repartis. Le flux le plus important se situant après les années 1880. A cette époque, il s’estime à environ 90-100 000 français qui sont venu “faire l’Amérique”. Cela représente environ 3 à 4% du total des migrants européens .

Le phénomène migratoire en Argentine

Après l’indépendance en 1810 et le pays se construit peu à peu mais les guerres internes pour la prise du pouvoir ruinent de nombreux efforts. A partir de 1853 la Constitution intègre avec l’article 25 l’incitation à l’immigration. En 1876 la loi N° 761 de Nicolás Avellaneda, ainsi nommée la Ley de Inmigración y Colonización, facilite et encourage l’immigration européennes pour ces vastes terres inoccupées et fertiles.
Le gouvernement mandate donc des agences en Europe pour trouver des candidats à l’émigration. Les consignes sont précises : des familles nombreuses, catholiques pour un départ définitif. En échange, le gouvernement argentin offre aux émigrés 33 hectares de terres, deux chevaux, six têtes de bétail,des semences pour la première année et un petit pécule. Pour des Basques, Béarnais, des Aveyronnais ou des Savoyards qui ne possèdent souvent qu’une chèvre et un minuscule bout de terre pauvre, l’offre est alléchante et laisse entrevoir un avenir meilleur pour les enfants. Le voyage est payé par le pays d’accueil. Il s’effectue en train jusqu’au Havre puis en bateau à voile. La traversée dure plusieurs semaines et les conditions de vie à bord sont rudes.
Il faut faire aussi de la place et empêcher les tribus indiennes de mettre en danger ce peuplement. C’est la “civilisation contre la barbarie” de 1873 et les conquêtes du désert. Le grand projet de développement est idéalisé sur le modèle des États-Unis.
Les résultats ne se feront pas attendre. De 300 000 habitants en 1800, l’Argentine en compte 1,7 millions en 1869, 4 millions en 1895 et 8 en 1914, pour un pays grand comme cinq fois et demi la France.

Les français dont l’histoire argentine se souvient:

> Des militaires, corsaires et dignitaires…
A l’époque du Vice Royaume de la Plata sous tutelle de la couronne espagnole, le plus célèbre d’entre eux reste Jacques de Liniers pour avoir repousser les invasions anglaises de 1806-1807 et avoir été nommé vice-roi. Fils de famille aristocratique émigré pour fuit les persécutions au moment de la révolution de 89. Il possédait une des premières fabrique de conservation de viande. Ses descendants directs et indirects sont par alliance aujourd’hui de grands propriétaires terriens, de fameux éleveurs de chevaux et joueurs de polo.

Le corsaire Hippolyte Bouchard pour ne citer que lui participera aux luttes d’indépendances au service des Provinces de la Plata entre 1811 et 1823.

Louis Vernet (un français né à Hambourg en 1791), arrive en Argentine en 1817. Il sera l’un des premiers pionniers des îles Malouines puis le quatrième Gouverneur civil et militaire de l’archipel entre 1829 et 1833 jusqu’à l’usurpation anglaise.

> Des ingénieurs et des pionniers…
En 1829, le Consul en poste à Bordeaux, Juan Larrea, invite le chimiste Antoine Cambaceres à s’installer en Argentine, descendant direct du Cambaceres qui coordonna la rédaction du Code Civil français et auteur du Discours préliminaire du Projet de code civil sous le premier empire. Antoine Cambaceres est chargé par Juan Larrea du développement de l’industrie de l’huile de pied de bœuf (ingrédient chimique utilisé dans le traitement des cuirs). Il se transforma en un éleveur important de bovins et fera fortune en vendant la viande de bœuf salée et des cuirs. Ses fils seront des hommes politiques importants dont l’un vice-président du Sénat qui représenta l’Argentine à l’Exposition Universelle de Paris en 1889 et l’autre un écrivain reconnu. Dans ses descendants, l’on compte Rufino Luro Cambaceres un pionnier de l’aviation argentine dans les années 20, collègue et ami de St Exupéry et Mermoz, qui fonda la société Aeroposta Nacional.

Arrivé en 1835, Charles Sourigues, topographe, médecin, géologue et paléontologue; s’illustra en recevant quelques missions de confiance sous le gouvernement de Juan Manuel Rosas. Ce dernier fût renversé par le général Urquiza, il en 1857 fonde dans la province de Entre Rios, la colonie San José dans laquelle intervint le béarnais Alexis Peyret et Charles Sourigues qui en fit le tracé. Alexis Peyret fût par ailleurs auteur d’une histoire des colonies publiée en 2 tomes sous le nom “Une visite aux colonies de la République” (Argentine). Et Charles Sourigues s’établit par la suite comme professeur au Collège de la Plata. Il eut comme élève fameux Lucio Victorio Mansilla. Il terminera à Concepcion del Uruguay, fût nommé au grade de colonel et tomba sous les balles du caudillo rebelle Julian Lopez dans une époque agité.

> Des industriels et hommes de négoces…
Arrivé en 1837 à l’âge de 17 ans, Pierre Luro connut un destin tout autre. Arrivé sans un sou il se révèle rapidement être un homme de négoce. Il monte une petite entreprise de transport pour terminer en 1863 à la tête de plus de 400 000 hectares et 100 000 têtes de bétail. A force de sacrifice et en prenant tous les risques face au malon (razzia) des indiens, il est l’un des pionniers de la colonisation du désert dans le Sud de la Province de Buenos Aires jusqu’au rive du Rio Negro puis du Rio Colorado au Nord de la Patagonie. Il est l’un des fondateurs de ce qui est aujourd’hui Mar del Plata. Ses fils Jacques et Charles Luro développeront encore cette entreprise jusqu’à baptisé Un village Pedro Luro à 100km du port de Bahia Blanca.
Son petit-fils Pedro Olegario Luro né en 1862 hérita par alliance de 23700 hectares (des 180 000 de la famille Roca, terrain concédé par le gouvernement aux militaires en récompense de leurs services rendus) dans la province de La Pampa vers Santa Rosa. Il y créa le premier coto de caza (terrain de chasse privé) en important des sangliers, cerfs elaphus et faisans d’Europe. Tombé par la suite à l’abandon ces espèces livrées à elles-mêmes et n’étant plus chassées ont peuplés les campagnes de la Pampa jusqu’aux Andes.

> Des aventuriers…
Nourrissant également un projet audacieux, Auguste Guinnard n’aura pas cette opportunité. Captif pendant 3 ans de diverses tribus indiennes qui se le revendait, il réussit à s’enfuir pour ne plus jamais revenir en Argentine. Son expérience lui suffit.
Nombreux seront ces modestes colons établis près de la frontière séparant la “civilisation” des indiens qui termineront cautivos, captifs des tribus environnantes. Beaucoup de femmes et d’enfants “huinca” qui s’adapteront ou périront. Peu s’échapperont vivant et la plupart, dans un réflexe de survie, perdront l’usage de leur langue et le souvenir d’être issus de l’autre monde…

> Des artistes…
Il y aura également de nombreux artistes français, en majorité des peintres qui se tailleront une belle réputation en Argentine depuis Charles-Henri Pellegrini (cf. Les peintres français en Argentine au XIXe siècle) jusqu’à Numa Ayrinhac qui sera le portraitiste officiel de Eva Peron.

> Des entrepreneurs…
C’est à deux français que reviennent tous les honneurs. Ils ne sont cependant jamais venus en Argentine mais ils ont permis un développement exponentiel de l’économie argentine. Il fût en effet l’inventeur du frigorifique en 1868. Charles Tellier le “Père du froid”. Son invention transforma le pays puisqu’il permit ainsi à partir de 1884 l’exportation de viande à grande échelle et a de fait enrichi au centuple les grands producteurs. En 1877, son bateau “Le Frigorifique” amena en France les premières viandes d’Argentine. Résulta en demi-teinte car l’aspect de la viande à l’arrivée n’était pas convaincant. Le procédé fût amélioré par un industriel de Marseille Julien Carré. Après 78 jours de traversé, son navire “Le Paraguay” amena au Havre 10 000 moutons qui furent vendu le jour même aux Halles de Paris. A la différence de Tellier qui maintenait la température à 0°, Julien Carré congelait en chambre froide entre -20° et -30°.
Le français d’Argentine Eugène Terrasson (originaire des hautes alpes) fut le premier à abandonner la technique du salage (saladero) pour installer à San Nicolas de Arroyo un frigorifico. Il fallait en effet pouvoir congeler la viande directement après l’abattage et ensuite l’amener au port sans rompre la chaîne du froid. Il développa cette industrie du frigorifico à grande échelle. Il fit fortune dans le commerce de la viande, le chemin de fer et la production d’alcool de genièvre. Il fût grand bienfaiteur de son village et philanthrope, avant de subit les effets de la crise de 1890 en Argentine et termina dénué de tout biens matériels à Paris en 1914.

Celui que l’on ne présente plus est Charles Thays (1849-1934), celui qui a accomplit les projets les plus audacieux de ces riches propriétaires terriens. Arrivé en 1889, il Il fût dessinateur paysagiste de plus de 200 parcs d’estancias (entre 100 et 400 hectares de jardins), qui a également perfectionné la scientifiquement la culture de l’herbe à mate. Avec le développement et l’enrichissement des villes, il est le créateur du jardin botanique de Buenos Aires, du parc 3 de febrero de Palermo, de la Plaza del Congreso, du Parc National d’Iguazu en 1902 et des grands parcs des villes de Mendoza, Rosario, Tucuman, Salta pour ne citer qu’elles… au Chili , au Brésil et en Uruguay également. Avec Perito Moreno il fut également le créateur du mouvement scout d’Argentine.

> Pionnier de l’aviation, viticulteurs et colons…
Plus tard, il y aura des noms aussi illustre que Paul Castaibert qui développa la première industrie aéronautique argentine, l’architecte Pierre Benoît qui dessina notamment les plans de la villa de La Plata quand celle se convertit en capitale de la province de Buenos Aires.

On retrouve ainsi des français fondateurs et habitants de nombreuses colonies sur tout le littoral et province de Buenos Aires (Pigüe, Carlos Pelegrini, San José pour la province de Buenos Aires; Santa Ana, Yapeyu dans la Province de Corrientes; province de Santa Fé, San José, Colon, Villa Elisa à Entre Rios le long du fleuve Uruguay) et par extension dans tout le pays:
Pionniers à Esquel, viticulteurs dans la région de Mendoza (Michel Pouget), éleveurs dans la Pampa et importateur de la race charolais, fondateurs de raffinerie de sucre à Tucuman (Jean Nougues), de moulins à farine à Cordoba et Santiago del Estero (don Pedro San Germes, Pierre Saint-Germain), producteurs d’herbe à mate (Aimé Bonpland), de tabac et de bois dans la province de Misiones, agriculteurs à Entre Rios et Santa Fé, mais aussi pêcheurs sur les côtes de Patagonie…tous ces immigrants français, célèbres et anonymes ont participé au développement de cette colonie européenne.

> Le XXe siècle n’est pas exempt de candidats…
Plus tard, au cours du XXe siècle, l’Argentine verra des français venant s’installer pour différentes motivations. Globalement, on peut noter des pics d’immigration pré et post première et deuxième guerre mondiale, puis environ 150 familles pieds-noirs qui durent quitter leurs terres après l’indépendance de l’Algérie. Les gouvernements français et argentins du temps de Peron ont facilité leur venue. Et ses pionniers dans l’âme ont pu rapidement se reconstruire.
C’est un fait, même si la communauté française a largement diminué en passant de plus de 100000 à l’aube du XXe siècle (et presque 10% de la population), aujourd’hui l’Argentine compte environ 15000 français (pour 45 millions d’habitants). Chaque année encore, de nombreux français, individuellement ou en famille, choisissent l’Argentine pour concrétiser un projet de vie.
L’Argentine continue de faire rêver…

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