Suite à notre précédent article sur les peintres français en Argentine au XIXe siècle, il se trouve qu’un livre édité en 2003 existait et vient étoffer cette redécouverte. Il a été dénombré quelques 1500 artistes français qui sont venus, restés ou repartis d’Argentine au cours du XIXe siècle. Ce livre s’intéresse à quelques uns d’entre eux et nous livre une précieuse iconographie accompagnée de la biographie de chacun.
Dans “Aventura en las Pampas, Pintores franceses en el Río de la Plata” Alberto Dodero et Philippe Cros réunissent les œuvres de 30 artistes qui sont arrivés en Argentine au XIXe siècle. Ces artistes se sont convertis en chroniqueur de leur temps et ont forgés l’un des chapitres les plus colorés des relations de la France et de l’Argentine.
L’Argentin Alberto Dodero qui se définit lui-même comme un “chercheur autodidacte” et Philippe Cros, directeur de la fondation Bemberg de Toulouse se sont réunis autour de ce thème pour faire connaitre un héritage oubliés tant en France qu’en Argentine.
Alberto Dodero (descendant du célèbre armateur et mécène du Rio de la Plata) commente:
Mon ami Philippe Cros est un érudit de l’École du Louvre et en même temps un juriste. Il est venu en Argentine il y a quelques années et je l’ai emmené visité le musée de Luján. Il a été surpris de voir des images représentant ces charrettes à roues énormes conduites par des gauchos et a constaté qu’elles étaient signées par des compatriotes. Ce qui l’a plus surpris ce ne sont les scènes en elles-mêmes sinon la technique et la minutie avec laquelle elles ont été peintes. C’était la même manière de peindre que les lèves d’Ingres qui faisaient les portraits des jeunes filles du Faubourg Saint-Honoré à l’époque du roi Louis-Philippe, la différence c’est qu’ici ils représentaient des hommes sauvages et dangereux. Cette surprise nous a permis de prendre conscience que nous étions en face d’une époque pas assez explorée ni connue. Au début nous pensions organiser une exposition; après, nous avons pensé qu’il serait mieux d’éditer un livre où nous pourrions reproduire ce trésor quasi inconnu en France et peu connu en Argentine. je crois que nous avons fait le bon choix; maintenant on pense pouvoir organiser une exposition au Musée d’Orsay.
Dans ce livre, on peut trouver de courtes biographies de 30 artistes français en (français et en espagnol) qui ont officié sur les rives du Rio de la Plata. Chaque résumé de la vie de l’artiste est illustrée de l’iconographie réalisée en Argentine par chacun; souvent issues de collections privées mais aussi de musée argentins et uruguayen.
A côté de noms célèbres comme Adolphe d’Hastrel, Auguste Raymond Quinsac de Monvoisin et Jean-Léon Pallière, d’autres complètement ignorés apparaissent comme François Barry, et son huile sur le combat de Obligado (20/11/1845), qui est exposée au château de Versailles.
Les recherches de Dodero et Cros révèle que nombreux sont ces artistes qui ont travaillé pendant la période
du gouverneur-général-dictateur Juan Manuel de Rosas; alors que la chasse au français était de mise pendant le blocus réalisé par une force navale anglo-française entre 1838 et 1846.
Ils peignaient des paysages, des miniatures, des gravures et des illustrations pour les journaux; avec des réussites diverses. Certains pour survivre sont passés au daguerréotype. Le miniaturiste et portraitiste Jean-Philippe Goulu est l’une des majeures découvertes de Philippe Cros, dont la production reste admirable pour l’époque. Il a eut comme disciple des artistes aujourd’hui encore très connus comme Carlos Morel et Fernando García del Molino.
Ce sont les transformations de la société française et des gouvernements qui ont poussé ces hommes vers le continent sud-américain. Les partisans de Napoléon étaient mal vus lors de la Restauration et ceux qui avaient embrassés la cause de la Restauration tomaient en disgrâce lors de la Monarchie de Juillet…
Tous sont venus à la recherche d’exotisme, paraissant évidentes sous ces latitude tropicales; et quand ils arrivaient à Buenos Aires (déjà), au lieu de trouver des palmiers et une végétation luxuriante, ils se retrouvaient face à la plaine immense de la Pampa dans une ville portuaire qui exacerbait le caractère européen.
Leurs réussites furent diverses et inégales, certains s’acclimatèrent et s’établirent définitivement sans jamais retourner en France, d’autres finissaient par fabriquer des peignes pour survivre, certains se lassaient de ne pas rencontrer le succès espéré et retournèrent en France…d’autres firent fortune en se reconvertissant en photographe.
La réunion de cet héritage iconographique permet d’avoir une vue assez précise de la société Argentine de l’époque. Entre les portraits de riches propriétaires terriens (Urquiza par exemple), d’hommes politiques de l’époque (Rosas, Mitré), des tenues vestimentaires des femmes, des coutumes et du travail des gauchos, de leurs vêtements et ornements, paysages des Andes, rites et coutumes rioplatense, couleurs et luminosité, vue aérienne de Buenos Aires détaillée.
Des recherches qui ont amené logiquement les auteurs a s’interroger sur les liens affectifs des argentins avec la France, Paris, Biarritz, la côte d’Azur…et retrouver des traces du passage de ces riches propriétaires terriens qui embarquaient avec femme et enfants, servantes, majordomes et chauffeur; sans oublier la vache laitière pour le lait de la progéniture durant la traversée…dans les registres des grands bijoutiers de la place Vendôme comme Cartier ou Van Cleef…la nouvelle édition passionnante sur un épisode peu connu de l’Argentine francophile: Argentina, Los años dorados (1889-1939).