Histoire Terre de Feu

La Romanche en Terre de Feu et au Cap Horn (1882-1883)

Romanche en Baie Orange
La Romanche en Baie Orange

C’est au Congrès International de Météorologie de Rome, en avril 1879, que onze pays acceptent de participer au projet de collaboration scientifique Dans le cadre de l’Année polaire internationale, onze pays européens associés aux États-Unis se proposent de coordonner leurs recherches en vue d’étudier simultanément les phénomènes géodésiques autour des pôles. Le programme scientifique international avait pour but d’étudier le magnétisme, la météorologie et l’observation du passage de Vénus devant le Soleil le 6 décembre 1882.
Les expéditions ont pour mission de procéder pendant une année complète à des observations concernant la physique, la météorologie, puis en second lieu tout ce qui concerne la botanique, la zoologie, la géologie et la géographie. L’étude des phénomènes magnétiques et météorologiques sont deux sciences nouvelles et réalisent à cette époque d’immenses progrès sans pour autant pouvoir encore déterminer des lois générales. De nombreux phénomènes restent à élucider selon des méthodes expérimentales. Et pour cela, il faut se rendre dans des régions extrêmes pour espérer obtenir plus d’explications.

Le trois-mâts barque La Romanche employé pour l’expédition est un bâtiment de la Marine Nationale. C’est un transport-aviso de 1700 tonneaux et de 64m de long, il subit quelques transformations intérieurs pour l’adapter à cette mission spécifique dans les mers australes.

C’est au Cap Horn que la France accomplit sa mission. Le 17 juillet 1882, cent quarante personnels appareillent de Cherbourg à  bord de la Romanche commandé par le commandant Louis-Ferdinand Martial.
Le 26 juillet, La Romanche relâche à Sante-Croix de Ténérife et en repart le 27.
Le 08 août, il coupe l’équateur et arrive le 21 août au port de Montevideo (Uruguay) sur le Rio de la Plata, dont il repart le 29 août.
Le 6 septembre, La Romanche atteint et mouille enfin dans la Baie Orange.
Elle passera sept semaines dans le Sud de la Terre de Feu, une région sauvage encore méconnue. Début septembre, le bateau mouille dans la Baie Orange (ou Baie Saint-Bernard, ainsi nommée par le capitaine d’Arquistade qui la découvrit en 1717), à  quarante kilomètres du Cap Horn. La Baie Orange est choisit pour la qualité du mouillage qu’elle offre au plus près du Cap Horn.

L’équipage se constitue en deux équipes :

  • Une équipe restera à  terre et se chargera des études astronomiques, météorologiques, botaniques et zoologiques.
  • Une deuxième équipe longera les côtes, cantonnée aux observations hydrographiques et cartographiques. D’octobre 1882 à août 1883 ce seront sept voyages que réalisera La Romanche entre Punta Arenas et les îles de l’extrême Sud incluant un séjour de 12 jours aux îles Malouines.

A terre, deux hommes se consacrent à  l’observation des Indiens : le lieutenant Payen et le Médecin de marine Paul Daniel Hyades. Dans un studio improvisé, ils organisent de longues séances photographiques, accompagnées de mesures anthropométriques et complétées par des moulages corporels. Doux et conciliants, les Indiens se plient volontiers à  cet exercice singulier qu’ils nomment toumayacha alakana (fait de regarder avec un voile sur la tête). C’est l’occasion pour Hyades de se féliciter des progrès admirables accomplis par la photographie : « L’extrême sensibilité du gélatino-bromure a permis, en réduisant les temps de pose à  un minimum, d’obtenir des photographies d’indigènes qui pouvaient à peine rester immobiles pendant quelques secondes. »

Alors que la mission scientifique débute, les opérations menées intriguent les autochtones, les Indiens yahgan. Mus par leur curiosité, ceux-ci surmontent leur timidité et se rendent dans le campement français ou sur la Romanche. Par de menus cadeaux comme des biscuits ou des vêtements, les Français commencent à  tisser des liens avec les indigènes. Ils n’ont pas reçu l’ordre d’effectuer des études ethnographiques et anthropologiques ; celles-ci vont pourtant s’imposer à  eux ! Initialement réservés aux loisirs, les appareils photographiques vont se révéler de précieux instruments pour l’étude de cette ethnie.

Lire aussi  La Patagonie en 1910 , un documentaire inédit d'Alberto Agostini

En mer, le lieutenant de vaisseau Jean-Louis Doze et Edmond-Joseph-Augustin Payen se livrent à  des photographies plus spontanées, nées du hasard des rencontres. Le bateau sert de cadre à certains portraits : derrière les sujets yahgan, le bastingage, les bâches, cordes et cheminées matérialisent le choc de deux cultures. Lors des escales sur les îles, les Indiens sont photographiés dans leur cadre naturel, dans la forêt ou devant leur hutte. Ils ne sont plus traités comme des spécimens placés dans un milieu qui leur est étranger; l’homme occidental s’efface devant le spectacle mystérieux d’une civilisation primitive et harmonieuse.
Trois cent vingt-trois négatifs sur plaques de verre seront ainsi rapportés en France, ainsi que des centaines de pièces anthropologiques. Déjà  exceptionnelle, cette collection constituera bientôt un témoignage unique. Le Docteur Hyades a par exemple été appelé à  Ushuaia pour soigner des indiens victimes d’une épidémie alors que ce site n’était encore qu’une mission, où notamment le pasteur Thomas Bridges (estancia Harberton) s’employait à civiliser et catéchiser les tribus alentours.

Ses observations précieuses font toujours autorité pour comprendre et connaître non seulement leur environnement naturel mais aussi leur mode vie et coutumes pour des peuples qui étaient déjà alors voués à disparaître.

Peu après leur départ, une épidémie de tuberculose décime en effet cette population menacée. Aujourd’hui, les propos du Docteur Hyades prennent l’accent d’une terrible prophétie : «Les Fuégiens sont parmi les peuples dont la disparition totale de la surface de la terre n’est qu’une question de quelques années ; ils ne sont plus que trois cents ou quatre cents à l’heure qu’il est. » Qui se souvient des hommes?

La carte établit par la mission de La Romanche entre le Canal Beagle et la Cap Horn:

Premier relevé précis, complet et détaillé de la zone. Les noms des îles, baies et lac ont été baptisé avec les noms des marins et officiers formant l’équipage de la Romanche. Bien souvent rebaptisés depuis par les chiliens, ont décèle encore des traces de leur passage. Par exemple, la baie et le lac La Monneraye de l’île Hoste (source: Jean-Eudes de la Monneraye). La Baie Orange garde encore les traces de l’emplacement des cabanes construites par l’expédition et une stèle qui marque leur passage.

Cartes marine de La Romanche: Ushuaia – Baie Orange – Cap Horn

Dans la cartouche il est écrit:

AMÉRIQUE MÉRIDIONALE

CARTE SUD DE LA TERRE DE FEU

ARCHIPEL DU CAP HORN

ET CANAL DU BEAGLE

du Détroit de Lemaire à  la baie de Cook

Levé en 1882-1883 à  bord de la Romanche

Commandée par M. MARTIAL, Capitaine de Frégate

Chef de la Mission du Cap Horn

par MM. de Lajarte, R. de Carfort, Lieutenant de Vaisseau

et de la Monneraye, Enseigne de Vaisseau

Direction Générale

des Services Hydrographique de la Marine

1883

Sources:

  • Louis-Ferdinand Martial, 1888: Mission du Cap Horn, histoire du voyage; Revue Maritime et Coloniale
  • Paul Daniel Hyades, 1885: La chasse et la pêche chez les Fuégiens de l’archipel du Cap Horn; Revue d’Ethnographie
  • Mission scientifique du Cap Horn 1882-1883, tome VII “Anthropologie et ethnographie“, Paris, Gauthier-Villars 1887.
  • Fous de Patagonie, Auguste Guinnard, Docteur Paul Hyades, Comte Henry de la Vaux, Otto Nordenskjöld – préface de Jean Raspail – Les éditions du Riaux.
  • Exposition BNF Société de Géographie

12 Commentaires

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  • Bonjour
    Je fais des recherches généalogiques et j’ai lu votre superbe article sur la Romanche et son équipage. Savy Clovis Hannoteaux était mon arrière-arrière-grand-père. J’ai vu dans les commentaires que ce nom revenait plusieurs fois et il me semble qu’il s’agit de la même personne. Je serais heureuse d’échanger avec vous à ce sujet.
    Je vous remercie
    Fanny

  • Bonjour,
    Je suis chercheur à l’université de La Rochelle et je cherche des informations sur l’expédition, vous pourriez peut-être me renseigner. Pourriez-vous me joindre par mail. Merci
    Laurent Testut

  • Bonjour

    je m interesse a savoir pourquoi il n existe presque plus d indiens en argentine
    dans la liste des actions tres nuisibles sur les indiens realises par des chercheurs Argentins et Chiliens figure un trafic d esclaves indiens realise par la romanche
    vrai ou faux a vous de lire sur internet en écrivant
    porque no existen mas indios en argentina
    vous trouverez une these de 40 pages a lire

    • Bonjour, selon le dernier recensement effectué en Argentine en 2010, 955 032 personnes interrogées se considéraient comme indigènes ou descendants, soit environ 2,4% de la population totale du pays. Un trafic d’esclaves depuis la Romanche? des élucubrations. La thèse dont vous parlez n’a pas été trouvé, communiquez un lien svp. cdt.

  • Bravo pour cet article
    Mon arrière-grand père, Clovis Hannoteaux, a fait partie de cette expédition – merci pour cet hommage.

  • Bonjour,

    C’est en faisant des recherhes sur mon arrière grand oncle Edmond Payen, officier de marine, que j’ai découvert votre site.
    En consultant son dossier militaire, j’ai découvert qu’il avait participé à cette mission scientifique en 1882.
    Comment puis je me procurer les cahiers qui contiennent des observations s’il vous plaît ? De mon côté, je possède une photo de mon arrière grand oncle. Je vous la confierai bien si elle vous intéresse.
    J’ai découvert qu’il avait représenté la France en 1884 à Vienne lors d’une commission internationale. Comment puis je me procurer des documents sur cette conférence ?
    Merci d’avance.
    Bien à vous.

  • une épidémie de tbc décime a peu pres cette population

    qui a aporté le bacille qui n´éxistait pas avant dans cet endroit?
    les éclaireurs on fait de la nuit

    merci patagon pour nous éclairer

  • Nous rentrons d’un voyage touristique en Argentine (février 2010) et avons entendu la Guide locale nous parler, lors de la visite du canal de Beagles, près d’Ushuaïa, de l’expédition de La Romanche et de Louis Martial qui a baptisé le “phare des éclaireurs”.

    C’est l’image représentative de ce bout du monde.

    Cela nous a donné l’envie d’en savoir un peu plus.

    Merci à vous tous de nous avoir… éclairé !

  • Merci pour cet hommage à ces hommes courageux ,qui ont permis la réussite de cette mission scientifique;
    Mon grand père maternel ( monsieur Hannoteaux Clovis )faisait partie de l’équipage sur cette bmission .Il etait quartier maître timonier.
    existe-il des photos de l’équipage au complet ?
    Il avait gardé de cette mission un grand savoir pour beaucoup de choses. malheureusement je ne l’ai pas connu ,il est mort accidentellement en 1918.

    • Bonjour madame Galland,

      Merci de votre message chaleureux.
      Je n’ai pas de photo de l’équipage au complet. Par contre ne serait-ce pas sur la photo que je vous envoie la personne en haut à droite ? en comparaison avec la deuxième photo jointe il apparait des traits de caractères communs ?
      Il faudrait vous rapprocher de la BNF (société de géographie) ou du musée de la marine de Paris. C’est eux qui conservent tous ces documents.

    • Bonjour madame,
      Pour information ,
      Nous avons au Service Historique de la Défense à Toulon le récit de la “relation des voyages de la Romanche en mission scientifique ” écrit par votre grand père Clovis Hannoteaux

      • Bonjour et merci de votre message. Les informations ont été transmises a Mme Galland qui va vous contacter.