L’histoire de l’Argentine comprend des hauts faits auxquels quelques français ont participé. A Buenos Aires une rue du centre ville près de Puerto Madero porte le nom de Bouchard comme des dizaines d’autres dans la Province, ainsi que des écoles… revenons sur cette épopée somme toute assez insolite.
Les premiers mois du gouvernement révolutionnaire de Buenos Aires furent difficiles. Sur le front maritime, il devait affronter la puissante flotte espagnole qui contrôlait le Rio de la Plata depuis Montevideo (de fait Buenos Aires connut un blocus et fût bombardée en 1811). La première flotte improvisée fût confiée au navigateur Maltais Jean-Baptiste Azopardo et fût détruite à San Nicolás de Arroyos au début de cette même année. Azopardo fût fait prisonnier et passa les dix années suivantes dans une prison espagnole.
L’inexistence d’une marine et le projet de reconquête par Fernando VII décidèrent les rebelles du Rio de la Plata à délivrer des lettres de courses à des aventuriers de différentes nationalités.
Le corsaire hispano-américain apparut en 1814 quand la menace disparut de Montevideo. Il atteignit son apogée vers 1818 et se termina en 1823. Les navires sous pavillon argentin réalisèrent les actions les plus importantes. Leurs zones d’actions se situèrent principalement dans l’Atlantique Sud et les Caraïbes que sillonnèrent environ 60 corsaires mais également dans l’Océan Pacifique et jusqu’en mer méditerranée. Au moment de son apogée, la ville de Cadiz fût sur le point de connaitre un blocus hispano-américain.
Depuis la Banda Oriental (actuelle Uruguay) plus de 30 corsaires opérèrent pour Artigas et capturèrent des navires espagnols et, après l’invasion de 1816 des navires portugais puis brésiliens.
Dans les Caraïbes, se furent des navires de la Gran Colombia (actuelle Colombie et Vénézuela) et du Mexique en liaison avec des navires argentins qui opérèrent depuis l’île Margarita. Les corsaires chiliens, armés après leur indépendance par l’Argentine et les Britanniques réalisèrent également de nombreuses prises sur les espagnoles depuis leur base de Lima entre 1818 et 1820.
Leurs résultats furent éloquents puisque les espagnols perdirent leurs routes commerciales et leurs ports. Pour leur partie, les corsaires de Buenos Aires capturèrent au total environ 150 navires espagnols.
Parmi les plus emblématiques de ces personnages figurent William (Guillermo) Brown, irlandais d’origine et fondateur de la marine argentine, le nord-américain David Jewitt (connu pour la prise de possession des îles Malouines en 1820).
De nombreux français ont agit au profit des Provinces Unies du Rio de la Plata entre 1810 et 1833. Parmi eux Hubac qui débuta comme second de Bouchard, plus tard s’illustrèrent le redouté César Fournier, Foumartin, et le loufoque Louis-Michel Aury qui ira jusqu’à fonder l’éphémère États-Unis d’Argentine et du Chili sur une île au large de l’actuel Nicaragua.
Hippolyte Bouchard (1780-1837)
Né à Bormes-les-Mimosas, il s’enrôle à 18 ans dans la marine et participe aux campagnes d’Egypte avec Bonaparte et accompagne la mission Leclercq à Haïti.
Déçut par les événements qui se succèdent en France à cette époque, il émigre en 1809 à Buenos Aires quelques mois avant la révolution de mai (25 mai 1810). Pris de sympathie pour le mouvement révolutionnaire, il met ses connaissances au service de la révolution.
Bouchard le révolutionnaire
Ainsi, aux premières hostilités qui apparurent sur le Rio de la Plata, Bouchard servit comme second auprès d’Azopardo, commandant le brigantin “25 de mayo”. A la suite de la déroute de San Nicolas, il fût accusé injustement de couardise et blanchit.
Pendant l’hiver 1811 il affronte à bord d’une petite canonnière la flotte espagnole du Vice-roi Elio envoyé pour bombarder Buenos Aires. Pendant l’année suivante il poursuit et combat sur le fleuve Parana avec un bateau presque insignifiant “el Bote de Bouchard”.
En mars 1812 il entre dans le flamboyant Regimiento de Granaderos a Caballo du Colonel San Martin (Régiment de grenadiers à cheval). Comme sous-lieutenant Hippolyte Bouchard participe à la bataille de San Lorenzo à laquelle il s’illustra en prenant le drapeau ennemi, le 3 de février 1813. Bouchard portera alors fièrement la boucle d’oreille des grenadiers et recevra la nationalité argentine.
Il accompagne San Martin pour renforcer les armées du Nord commandées par Manuel Belgrano avant de rejoindre l’armée de la Banda Oriental. Puis il est autorisé à revenir à Buenos Aires où il prend le commandement de la frégate “Maràa Josefa“.
En 1813 il se marie avec Norberta Merlo, la fille d’un ex-officier espagnol qu’il avait combattu à Trafalgar en 1805.
Hippolyte Bouchard était connut et remarqué pour parler dans un mélange d’espagnol et de provençal. Doté d’un fort tempérament, infatigable et volontaire, il n’hésitait pas à admonester ses soldats les plus récalcitrants à coup de plat de sabre.
Bouchard le héros aventurier
En septembre 1815, le directeur Alvarez Thomas lui octroie une lettre de course dans une expédition financée par le providentiel Vicente Anastasio Echevarràa.
Les deux navires se dirigent ainsi vers le Cap Horn pour le doubler et opérer dans l’Océan Pacifique. Une violente tempête coule le navire commandé par Oliverio Russell; le Capitaine Bouchard sur sa corvette “Halcón” s’en sort, et double le Cap contre l’avis de ses officiers qui sont à deux doigts de lever une mutinerie.
Dans une action combinée sous le commandement de Guillermo Brown la petite flotte composée de la frégate “Hércules“, du brigantin “Santàsima Trinidad” et de la corvette “Halcón” attaque les ports de Callao et Guayaquil (Equateur); assaillent la flotte royale espagnole et capture la “Consecuencia“, le 28 janvier 1816. Rebaptisée “La Argentina“, le navire fera le tour du monde sous les ordres de Bouchard.
Bouchard le Corsaire (1816-1819)
“El capitán, a cuya dirección iba fiada ‘La Argentina’ y su fortuna, reunia en si, fisica y moralmente, las cualidades y defectos de un héroe aventurero”. Bartolomé Mitre, “El crucero de La Argentina. 1817-1818”
A la mi-1816 Bouchard débarque à Buenos Aires et se prépare à une nouvelle expédition parrainée par le même Vincente Echevarria. Le 27 juin il reçoit une “lettre de marque” qui le fait corsaire argentin. Cette course sera un tour du monde.
Il traverse dans un premier temps l’Atlantique en deux mois, double le cap de Bonne Espérance pour arriver sur la côte orientale de Madagascar, à Tamatave, où il bloque des négriers anglais et français avant de libérer la cargaison humaine. Parmi les équipages de ces négriers, des marins français décident d’embarquer sur “la Argentina“.
Il navigue ensuite vers l’Orient à la recherche de navires espagnols de la compagnie des Philippines. La traversée de l’Océan Indien est éprouvante, le scorbut fait des ravages. Il relache à Java pour se reconstituer. Il dut faire face à l’attaque de pirates malais et finalement put se diriger vers le port Manille dont il avait l’intention de faire le blocus.
Pendant deux mois il bloque Luzon. Il coule 16 navires, en aborde 16 autres et fait prisonnier près de 400 soldats royalistes.
Il décide de continuer sa route vers la Chine, à la recherche de plus de navires espagnols. Vers Canton une forte tempête l’oblige à dévier sa route vers Hawaii pour se réapprovisionner et reconditionner son équipage.
Il signe un traité de commerce, de paix et d’amitiés avec Kamehameha, roi d’Hawaï qui fait d’elle le premier pays non hispano-américain à reconnaître l’indépendance de l’Argentine (avant le Portugal en 1821, l’Angleterre et les Etats-Unis en 22 et la Grande-Bretagne en 25).
Sa course se poursuit ensuite vers les côtes américaines avec le débarquement et la prise de Monterey en Californie, San Juan Capistrano et fit halte pour réparer à Vizcaino (Key Biscaine) jusqu’en janvier 1819.
En continuant vers le Sud il rôde autour des ports de San Blas et Acapulco. Arrivé en Amérique Centrale il attaque Sonsonate (Guatemala) et El Salvador; il capture Realejo (Nicaragua) début avril. c’est l’un des centres commerciaux le plus important dont il prive la couronne espagnole.
Bouchard au Pérou (1819-1837)
Au courant des intentions du Général San Martin de libérer le Pérou, il rejoint Valparaiso où il est fait prisonnier par Lord Cochrane, accusé d’actes de pirateries. Une injustice criante qui au terme du jugement le blanchit. Il récupère ses navires vides de tous ses biens durement acquis. Malgré le fait que son protecteur Echevarria lui offre une nouvelle lettre de course, les intentions de Bouchard sont différentes. Il préfère se joindre à San Martin pour libérer le Pérou. Reconvertit en navire de transport, il participe aux débarquements des troupes pour la conquête de Lima et l’indépendance du Pérou qui sera proclamée en 1821.
Pour ses éminents services, il devint commandant de la frégate péruvienne “la Prueba” et plus tard se vit confier la marine péruvienne jusqu’en 1828. En récompense de ses services le Congrès péruvien lui offrit une hacienda de production de sucre qui s’appelaient La buena suerte. Il y resta jusqu’à la fin de sa vie, assassiné par un peón (employé) le 4 janvier 1837.
Ses restes ont été oublié pendant 120 ans lorsque en 1962, ils ont été retrouvés dans une crypte d’une chapelle de Nazca au Pérou. Ils furent exhumés par une commission commune de la marine argentine et péruvienne et rapatriés à Buenos Aires sur un croiseur du nom de “La Argentina“.
A savoir: Une stèle à Bormes-les-Mimosas (France) se rappelle au bon souvenir d’Hippolyte Bouchard (né André Paul). Son souvenir est commémoré chaque 9 juillet.
A lire: Hippolyte Bouchard – Corsaire de Georges Fleury et Hubert Jacquey (Editions Glénat, janvier 2010)
en écrivant et publiant uniquement sur internet il y a un an, un livre sur “Hippolyte Bouchard- corsaire”, j’avais sous-estimé l’intérêt d’une petite communauté de connaisseurs sur la vie de cet homme. Dans la deuxième partie de mon livre je parle également des autres francais qui ont combattus pour différents pays d’Amérique latine, du Chili au Brésil en passant par l’Argentine. Je suis heureux qu’un écrivain du talent de Georges Fleury se soit emparé de cette histoire et oeuvre comme moi à faire revivre les trajectoires étonnantes de personnages oubliés par l’Histoire (pour ma part je travaille sur le 19ème siècle). Félicitation pour votre site que j’ai découvert ; j’irai d’ailleurs peut-être un jour en Argentine. Ce pays me semble digne d’un grand intérêt.